« C’est elle ou la musique, man. Tu peux pas choisir les deux. »
Justine est venue me dire qu’elle avait vu Jee et Cath s’embrasser comme deux déchaînés dans la remise. Elle ricanait, moi moins. « On s’est réconciliés. Ça sera pas pareil. » « Arrête. C’est elle ou Montréal. » c’est le choix que j’ai fait, moi. Que Vanessa l’ignore toujours n’est pas ma plus grande fierté. Mais si j’ai été capable de choisir, Jee peut très bien lui aussi.
La forêt craque autour de nous. Tout a l’air d’être un effort pour Jee. La musique, la vie en général. Au moins sa blonde à lui n’est pas enceinte. Au moins, sa blonde à lui ne complique pas les choses.
Jee hésite trop longtemps pour que ce ne soit pas louche. « T’as pas envie, hen? De le faire. » l’album. Le déménagement. La carrière. Le rêve. Il n’en a jamais voulu.
Tout est clair maintenant. Clair et insupportable.
« Fack dans le fond tu vas m’en vouloir parce que j’ai pas le goût d’aller faire un album avec toi, mais tu fous rien quand tout le monde pense que je frappe ta soeur? »
« Que tu quoi? »
La pièce tourne bizarrement autour de nous. Les meubles fondent dans les murs, mes yeux se plissent. J’ai entendu les rumeurs, je ne suis pas sourd. Mais je ne les ai jamais crues. Comment est-ce que Jee aurait pu me regarder dans les yeux tout ce temps-là s’il était violent avec Cath? À quel point Cath ne me faisait pas confiance si elle ne m’en avait jamais parlé?
« Je le sais, que j’ai un problème. Je travaille là-dessus depuis des mois. » sans le réaliser, j’ai fini par me poser au sol, assis en indien face à lui. Jee a commencé à se confier et n’a pas l’air d’être prêt d’arrêter. Il me parle de ses nuits blanches à la fourrière à défoncer les voitures pour passer sa rage. Des cours de boxe qu’il suit pour canaliser sa colère ailleurs que sur les gens. Des longues conversations qu’il entretient avec Cath depuis le début de l’été, où ils parlent de tout sauf d’eux. Où il s’ouvre de plus en plus.
Jee fait du progrès, il veut vraiment. Mon coeur se serre de n’avoir pensé qu’à moi depuis le début de l’année scolaire. Qu’à la musique, qu’à quelque chose de futile quand mon meilleur ami et ma soeur auraient eu besoin de moi. Auraient eu besoin que je sache, que je sois là, que -
« Vraiment émouvant. » une voix féminine se moque, au loin. Les lumières de la pièce se ferment. « À quel moment vous frenchez, vous deux? Ou c’est réservé seulement à Oli et à Antoine? » je sais qui parle. Je sais tout de suite qui est derrière moi.
« VA T’EN PHIL! » un cri fend les lieux. C’est Jee, il panique, il s’époumone de plus belle en me hurlant de partir.
Sous ses cris de douleur, j’arrive à peine à bouger. On m’a déjà attaché les mains dans le dos, puis passé la corde autour du cou. Quand je sens mon corps lever de terre par élans de force, j’ignore où est Jee dans la noirceur. Il crie toujours, mais il est loin, il agonise, il supplie.
Mes cartilages craquent les uns après les autres. Je ne tiendrai pas longtemps. C’est de plus en plus froid, c’est ma culpabilité qu’elle abrège, c’est l’air, qui part, en même temps qu’un énième soupir.
Un flash d’appareil-photo.