À quelque part dans le futur, ils ont réussi à faire quelque chose de leur peau.
Catherine a écrit assez de livres pour se considérer comme une écrivaine. C’était difficile, au départ, de ne pas pouvoir confirmer la pile de manuscrits bien vivants entre ses mains. Encore plus horrible de ne pas pouvoir jeter un coup d’oeil aux critiques sur Goodreads, de croire les autres sur parole même si elle est encore persuadée qu’ils mentent quand ils lui disent qu’on aime ce qu’elle a écrit. Catherine n’ouvre plus les yeux depuis des semaines, maintenant. Elle écrit ce qu’elle ressent à l’intérieur ; l’extérieur ne lui sert plus à rien.
Mathieu a vaincu son corps qui le faisait souffrir. Il peint avec ses courbatures et ses douleurs, il crée avec ses membres ankylosés et ses côtes éternellement cassées. Il oublie parfois, souvent, encore. Les spasmes le font passer de debout à allongé, la tête éclatée contre le parquet et les toiles qui se multiplient sous ses hanches. Mathieu fixe le plafond, le nez qui s’asphyxie par la gouache qui s’y infiltre jusqu’aux yeux. Il a allongé ses bras sans mains au-dessus de sa tête, respire 4 retient 4 expire 6. La panique lui gratte les poignets. Son anxiété, son impuissance. Elles sont ses meilleurs pinceaux.
Vanessa n’a jamais quitté l’île. Elle n’a pas donné signe de vie depuis plusieurs mois, l’orchestre a mis des avis de recherches, ses parents, ses amis, sa fille, sa blonde, tout le monde la cherche sans arriver à la trouver. Personne n’est étonné. Elle faisait la blague, elle fantasmait de partir entre deux rires et un passeport toujours caché dans son sac à main. Vanessa est peut-être restée dans l’une des villas, derrière le piano qu’elle a appris à aimer dans toute sa haine. Vanessa est peut-être aussi au fond de l’océan, elle qui n’arrivait plus à entendre les vagues et qui voulait voir jusqu’où elle pouvait apprécier les ondées si elles transperçaient ses poumons à la place.
Adrien a pris sa retraite. Il n’aimait pas le cinéma, finalement. Il le faisait simplement pour l’avoir fait, pour dire qu’il le ferait. Adrien était tout en paroles et en promesses, il se définissait par une passion qui n’en avait que le nom. Adrien est devenu préposé à l’accueil dans un hôtel de Miami, il y passe ses journées à croiser des dizaines de personnages potentiels dans un endroit qui aurait pu être le décor de tout autant de films. Depuis qu’il a quitté la retraite, il n’a jamais pensé à romancer ses interactions ou à écrire une version fictionnelle de ce qu’il vit à l’Ama Deus. Adrien respire mieux, depuis qu’il n’est plus la version de lui qui ne lui a jamais ressemblée.