La nouvelle était arrivée comme un charme : l’enregistrement qu’on avait fait dans le sous-sol de Jee avait trouvé preneur. Ils nous voulaient dans un studio tout l’automne, avec de nouvelles chansons, mon drum et moi, sa guitare et lui. Un méchant beau rêve réalisé. Enfin.
Je ne pense pas qu’il comprenait à quel point c’était important, Jee. Il avait l’air d’être ailleurs, écoutait mes paroles à moitié, répondait encore moins quand je lui posais des questions. C’était comme parler à un mur. Mais je me disais que ça allait passer. Lui et Cath venaient tout juste de se laisser et cette fois-là, c’était la bonne. Ils se faisaient tellement de mal pour rien. Jee pourrait arrêter de penser à elle quand on pratiquait, il pourrait arrêter de faire tourner sa vie autour de leur couple en dents de scie.
Il aurait pu. Il l’a pas fait.
C’est devenu pire, après. Jee arrivait en retard, se trompait dans ses mélodies. Il était désaccordé, cherchait ses affaires. Il me donnait envie de pogner les nerfs ; et ça, ça m’arrivait quasiment jamais. Je cédais pas, par contre. Ça restait un enregistrement d’album. On était pas le seul groupe qui avait un peu de misère, qui croulait sous la pression. On était pas les seuls qui rushaient en préparant un premier EP, qui cherchaient leur son, qui mettaient plus de temps que prévu pour le trouver.
« Tu me niaises. » c’est arrivé un soir, deux semaines avant qu’on parte au chalet pour l’été. Jee avait une boîte en velours au creux de la main. Il pratiquait son discours et pas nos chansons.
Je sais pas d’où son envie de marier Cath est arrivée, mais c’était clairement une erreur.
« Elle sort avec Guillaume maintenant. Ils gardent ça mort pour pas te faire trop de peine. »
Jee a même pas eu l’air de voir que je mentais. Il a encaissé ça comme un champion. Ravalé ses questions. Puis, il a oublié la boîte de la bague au studio en s’en allant après un des meilleurs jams de nos courtes vies. J’ai gardé l’écrin dans mon sac depuis.