« T’avais juré que tu retournerais pas avec lui! » dans sa voix, j’entends tellement de dédain que je retiens mon souffle. Pour toutes les fois où Guillaume ne m’a rien reproché. Pour toutes les fois où il a assisté aux dommages collatéraux que j’inventais sans questionner. « C’était le deal. Je casse le couple de Phil, tu retournes pas avec Jee. »
J’ai les lèvres rougies par les baisers de Jee, l’ombre de ses mains avides réchauffe encore ma peau. Il a disparu de la remise, les cheveux emmêlés, le coeur léger, la camisole de travers. Guillaume a tout vu. Mes doigts se précipitent par terre pour faire comme si j’essayais de retrouver mon t-shirt. La vérité, c’est que je préfère rester en soutien-gorge. L’effet est plus irrésistible, de me poster en sous-vêtements grande et forte sous les yeux dégoûtés de Guillaume.
« Il a changé, je te jure qu’il a… » je me redresse, tente de reprendre mon rôle de victime qui bafouille, passe une main dans mes mèches, les glisse derrière mes oreilles en essayant de trembler suffisamment. Je regrette de ne pas avoir pris le temps de maquiller quelques ecchymoses autour de mon cou. « Tu crois vraiment tout, tout le temps, hen? » sa voix craque, dans sa gorge. Il ne m’a jamais regardée comme ça.
« Oh franchement, arrête. » ma voix a changé. C’est moi qui dirige, maintenant. « T’es vraiment pathétique Cath. » éclater de rire devant Guillaume et ses insultes ne le rend que plus confus. « C’est toi qui crois tout le temps tout, Guillaume. »
L’air est différent, plus lourd. La canicule dehors tape jusqu’à l’intérieur et ses yeux me scrutent en essayant de comprendre ce que je veux dire.
Il est perdu, c’est presque triste, je sais qu’il voulait bien faire depuis le début. Mais c’était tellement facile d’en abuser. « Il ne m’a jamais frappée. C’était juste un jeu, pis t’es tombé dedans. » un jeu, juste un jeu. De voir à quel point Guillaume arrêtait tout pour venir à ma rescousse. De profiter de tous les devoirs de math ou de français qu’il faisait pour moi. De le laisser me gâter en payant des soirées au ciné-parc pour me changer les idées. Je ne l’ai jamais forcé à sauter sur le rôle du meilleur ami dévoué. Guillaume était aussi heureux que moi d’être utile à ce point.
Ça n’aurait pas été sympathique, de briser son beau rêve de complexe du héros.
« Si t’es pas capable de casser leur couple, je vais m’en charger toute seule. » esquissant un pas à sa gauche, je soupire pour livrer un vrai spectacle dramatique. Qu’il reste ici à additionner un + un, à insulter toutes les fois où j’ai profité de lui et de son grand coeur naïf. J’ai une idée bien précise en tête, et la lenteur que Guillaume met à voir les faits en face ne m’intéresse pas du tout. « Mêle-toi de tes affaires et va pleurer ailleurs. »
La silhouette de Guillaume ne bouge pas - il sera lourd jusqu’à la fin. Quand je tente de le contourner vers la droite, il s’assure de se planter de nouveau devant moi. « Laisse-moi passer. » je redresse mes yeux pour menacer les siens. Mais c’est autre chose que de la pitié que j’y vois. Autre chose que du dédain.
Il ne me voit plus comme une cause perdue.
Je suis une opportunité.
« Guillaume? »
La première attaque part avant même qu’il ait réfléchi. Les ciseaux à cheveux auront servi deux fois, ce soir : à couper la frange de Guillaume, et à trouver l’aorte de Catherine.
Elle sursaute sous l’élan, crie une fois les lames dans sa chair. Guillaume, lui, ne lâche pas les prunelles de Catherine des siennes. Oh, il aurait pu se mêler de ses affaires et ciseler sa peau une seule fois. Petite vengeance bien méritée pour tout le temps, l’argent, l’énergie et l’amour qu’il a épuisés sur elle depuis le début de l’année.
Mais à la place, Catherine lui offre quelque chose de plus grand, de plus excitant qu’un règlement de compte après quelques petits mensonges d’adolescente psychopathe ascendant narcissique.
Chaque fois que les ciseaux perforent la peau délicate de la nuque de Catherine, Guillaume se confirme qu’il fait enfin quelque chose qui n’est pas prévisible.
Qu’il peut cocher la résolution tout en haut de sa liste. Qu’il n’est plus le petit garçon docile et bien élevé et malléable qu’ils connaissent tous. Que Catherine a si facilement appris à manipuler.
Elle s’effondre au sol, convulse, roule dans son sang et dans sa peau lacérée. Guillaume est fier de lui.
Il a réussi.
Enjamber le corps noyé d’hémoglobine de Catherine lui permet, avec le sourire, de sortir de sa zone de confort.