J’ai laissé la douche couler pendant au moins le double du temps recommandé pour ne pas assécher la planète à force de faire des caprices.
Couché sur le plancher de la salle de bain, j’ai les yeux fermés, le corps recouvert des gouttelettes d’eau qui tombent, tombent, tombent du pommeau jusqu’à mon visage et mes cheveux.
La salle de bain est imbibée de brouillard, l’air est lourd et chaud, l’humidité grimpe dans la fenêtre comme du lierre. La buée cache les rayons du soleil qui me piquaient les yeux une seconde plus tôt - tant mieux.
Je prends le temps de faire des anges avec mes bras et mes jambes sur la céramique poisseuse de toute l’eau qui a commencé à s’y accumuler. Des petites vagues pour passer le temps. Éviter d’aller dans la pièce d’à-côté retrouver mes collègues que je vois déjà trop, qui m’ennuient mais sur qui j’ai insisté pour qu’on lance la nouvelle routine d’aller prendre une bière ensemble à chaque jeudi après la job.
Ils m’intéressent une minute jusqu’à ce qu’ils ne m’intéressent plus la suivante. Quand je réalise que j’arrive pas à leur dire ce que j’ai envie qu’ils sachent de moi. Ils parlent entre eux, ils me coupent la parole, ils ont des histoires et des souvenirs en commun, ils s’en foutent de ce que je sais et de ce que je connais et de ce que j’aime et de ce que je suis si je ne suis pas l’un d’entre eux. J’ai envie d’être leur ami comme j’ai envie qu’ils me posent des questions sur moi. Qu’ils me laissent être meilleur qu’eux, qu’ils m’encouragent à l’être, qu’ils me fassent de la place, qu’ils me posent les questions que je leur pose avec bien plus d’intérêt à m’écouter que j’en aurai à faire la même chose avec eux.
J’ai du poil qui a poussé sur ma langue.
Depuis la dernière fois où j’ai ouvert les yeux dans ma salle de bain noyée d’une douche que je n’ai pas encore prise mais qui coule depuis assez longtemps pour qu’on cogne à la porte et qu’on me demand si j’ai bientôt fini, parce qu’ils ont tous envie de faire pipi.